Extrait : Combat dans la forêt
Je m’immobilise un peu plus loin, entendant quelqu’un approcher.
C’est Raf, le bourreau des cœurs. Celui qui avait été si tendre avec Bernadette. Il
tient un pistolet automatique, apparemment un Walther P 99, en 9mm Para. Une
belle arme très moderne.
Me souvenant que Doc a ordonné à ses hommes de me prendre vivant, il me vient
une idée.
Un peu risquée, mais il me faudrait localiser les autres… surtout Rudy. J’avance alors
bruyamment en direction de Raf, les bras le long du corps, ma main droite tenant
mon automatique que je cache derrière ma cuisse, l’air apeuré et en implorant d’une
voix gémissante :
- Non, ne tirez pas s’il vous plaît, ne me faites pas de mal, je vais tout vous dire,
mais ne me faites pas de mal !
Raf me regarde arriver, et se détendant, brusquement hilare :
- Eh Doc, je le tiens, il est là ! Raf, Rudy ? Venez !
Une autre voix, qui me semble bien lointaine, répond. C’est celle de Johnny. Rudy,
quant à lui, reste étrangement silencieux.
Je ne suis qu’à quelques mètres de Raf. Il tient mollement son arme qu’il doit penser
superflue, sa prétention naturelle lui ôtant toute prudence. Pour lui, je ne suis qu’un
cave, rien d’autre, donc quelqu’un d’éminemment inoffensif.
Quand il aperçoit dans ma main droite brusquement levée le trou noir du canon de
mon 45, une intense panique l’envahit et il tente désespérément de me mettre en
joue.
Je tire un doublé, deux coups rapides, logeant une balle dans chacune des épaules
de mon adversaire qui lâche son arme.
Dans le même temps, je me propulse sur la droite en effectuant un acrobatique
roulé-boulé à travers les buissons. Bien m’en a pris. Quatre coups de feu claquent,
dans le même style que les miens, arrosant la position où je me trouvais quelques
dixièmes de seconde auparavant.
C’est bien ce que je pensais : Rudy est aussi un spécialiste du tir de combat.
Il a vraisemblablement reconnu dans les détonations de mon automatique les
aboiements rauques caractéristiques du calibre 45 ACP.
Il connaît aussi la technique des doublés, les fameux double-taps. Le but recherché
est de loger deux balles dans la cible, l’une étant légèrement plus haute que l’autre,
compte tenu du recul.
Il est aussi plus aisé de cette manière de compter les cartouches qui restent, afin de
prévoir les changements rapides de chargeur.
Sur le plan pratique, la position du practical shooting, le tir de combat en parcours
de police, consiste à caler de la main gauche l’arme solidement tenue dans la main
droite, et à viser un peu plus bas que la cible. Le bras droit étant bien tendu, la
main gauche recouvre la droite en exerçant une pression arrière, en sens inverse,
de manière à ce que l’ensemble arme-bras droit-bras gauche forme un bloc
parfaitement verrouillé.
Les différentes prises de visée se font alors, soit en faisant pivoter son torse, soit par
rotation du corps tout entier.
D’après le bruit des détonations émises par Rudy, il doit avoir un pistolet semi-
automatique en calibre neuf millimètres parabellum, sans doute le Beretta modèle
92F qu’il m’a semblé apercevoir à sa ceinture.
Une excellente arme et un calibre classique. Bon pouvoir de pénétration, mais
insuffisant en ce qui concerne le shocking-power, le pouvoir de choc destiné à
paralyser les centres nerveux. Dans le combat rapproché, le but est de mettre son
adversaire hors d’état de nuire afin qu’il ne puisse répliquer, même dans un dernier
sursaut.
En effet, à l’inverse, un combattant blessé mortellement par une balle de 22 long
rifle supersonic, une munition très perforante, mais sans pouvoir de choc, disposerait
encore, quoique potentiellement mort, de quelques secondes pour riposter.
Il faut en conséquence utiliser en combat rapproché une munition au fort pouvoir
vulnérant lors de l’impact.
Le 357 Magnum serait correct pour cela. Le 44 Magnum serait, lui, parfait, mais
on ne trouve généralement ces calibres que sur des revolvers, dont la capacité est
limitée à six coups.
Le calibre 45 ACP, surtout avec les cartouches que j’utilise, est la meilleure solution
possible.
Je pousse un cri pour amuser la galerie, hurlant.
- Ne tirez plus, j’ai mon compte, pitié !
Cette diversion peut me faire gagner quelques secondes. En effet, je n’en ai pas
encore terminé avec Raf.
J’ai un cadeau posthume à lui délivrer.
C’est dangereux, mais nécessaire.
Je reviens silencieusement vers ce dernier.
Il est assis par terre, les bras ballants, inutilisables à présent qu’il a les épaules
fracassées.
Son arme gît à ses pieds. Je me glisse en rampant jusqu’à lui en lui faisant signe de
ne pas faire de bruit. Il me regarde, hagard, observant le silence que je lui intime,
attendant par sa docilité je ne sais quelle clémence de ma part.
L’une des tares rédhibitoires des tueurs est de croire qu’ils sont les seuls à pouvoir
délivrer la mort sans état d’âme. Parvenu tout près de lui, je lui susurre à l’oreille :
- Tiens, tombeur, ça, c’est un petit cadeau de la part de ma femme ! Dans
quelques secondes, les morceaux de tes joyeuses iront décorer les arbres et
nourrir les corbeaux ! S’ils ne sont pas dégoûtés !
Je lui montre rapidement la grenade que je dégoupille ostensiblement avant de la
glisser dans son pantalon, bien au contact de son membre prétendument ravageur.
Puis je repars rapidement vers la gauche, m'aplatissant le plus possible sur le sol.
Raf se met à hurler, un cri de désespoir qui s’achève en hululement avant de
s’éteindre avec la déflagration de la grenade.
Je pense avoir localisé l’endroit d’où sont partis les derniers coups de feu. Rudy
aurait pu se manifester auparavant, croyant m’avoir touché. A présent, ayant
entendu les cris de Raf et l’explosion de la grenade, il n’y a plus aucune chance pour
que Rudy découvre prématurément sa position.
Et puisqu’il va se méfier encore plus maintenant, il va falloir que ce soit moi qui le
débusque. Je tire rapidement six doublés en arc de cercle devant moi et je change
de position le plus rapidement possible, tout en remplaçant le chargeur vide de mon
arme par un autre.
En réplique à mon tir de barrage, une dizaine de coups de feu claque, une partie
seulement vers la position que j’occupais, les dernières me sifflant aux oreilles.
Ce Rudy connaît la musique, décidément.
J’arrose à nouveau les buissons d’où les coups de feu semblent être partis… Je vide
tout un chargeur, pendant que d’autres détonations me répondent.
Je sens une vive douleur me brûler le bras gauche, juste en dessous de l’épaule. Je
me déplace le plus silencieusement possible, tout en changeant de chargeur.