L'éclate-vie (2010)

Extrait : Fausse pucelle et maris cocus

Avant de nous quitter pour se marier, et après quelques barouds d’honneur sexuels destinés à se mettre en jambes, Terèsa, qui devenait de plus en plus rouée dans ce domaine, se trouva confrontée à un grave problème, celui de sa virginité perdue.
Il était bien entendu proprement inconcevable qu’elle l’avouât : envisager d’épouser ce que l’on appelait autrefois une fille perdue, pour ne pas dire una puttana (ndlr: une putain), ne serait même pas venu à l’idée d’un fiancé, surtout sicilien. Alors, comment faire ? J’eus la chance de pouvoir en discuter avec une ancienne sage-femme, plus ou moins faiseuse d’anges, qui me donna plusieurs trucs qu’utilisaient presque toutes les jeunes filles de Tunis, qu’elles fussent italiennes, siciliennes, juives ou musulmanes afin de tromper le mari et surtout aussi l’ensemble des proches en de telles circonstances.
Il était encore de tradition que le drap de la nuit de noces, largement tâché de sang, soit suspendu au balcon le lendemain, sous les youyous et les applaudissements de tous, comme pour afficher la bonne exécution de l’acte. Inutile de préciser que le souci de délicatesse du mâle dans cette union n’était qu’une illusion. L’épousée, en se soumettant telle une brebis au joug des coups de boutoir de son bélier, se devait de souffrir pour conserver sa bonne réputation. Quant à l’orgasme féminin, c’était une notion volontairement ignorée, parce que frappée du sceau du péché.
Pour tromper l’ennemi, en l’occurrence le mâle, il fallait, pour ce trucage, effectuer deux actions : la première étant que la jeune épousée se fasse en prélude à la consécration sexuelle des noces des ablutions génitales avec un produit astringent. En fait, l’exact contraire d’un lubrifiant vaginal. La deuxième était de prendre soin de dissimuler sous le lit une petite poche de sang, de cochon ou de bœuf, selon la religion pratiquée, fabriquée dans un morceau de boyau noué. Il suffisait ensuite à l’épousée de profiter du moment opportun de l’agitation et des pleurs que la procédure de défloraison se devait d’engendrer, pour crever ce récipient et en déverser discrètement le contenu entre ses jambes et sur les draps.
Ce stratagème, qui marchait à tous les coups, reste encore en usage dans certaines communautés.

Je revis encore une fois Terèsa, quelques années plus tard, dans des conditions qui me mirent assez mal à l’aise. Elle habitait avec son mari, dans le quartier sicilien de Tunis, un coquet petit appartement dans lequel elle m’invita un jour à prendre l’apéritif.
Pendant que son mari et moi échangions de très banales banalités, je vis une petite lueur que j’avais appris à bien connaître s’allumer dans les yeux de la jeune femme. Elle déclara alors qu’elle serait heureuse de m’avoir aussi pour déjeuner. Bien entendu, l’époux accepta ce qu’il considérait comme un honneur et sortit pour acheter quelques ingrédients supplémentaires, des steaks et une baguette de pain italien, ce délicieux pain blanc à la mie compacte et à la croûte dorée que je n’ai plus jamais retrouvé après avoir quitté la Tunisie.
À peine Guido était-il sorti que Terèsa se jeta sur moi et que nous nous livrâmes à nouveau, et pour la dernière fois, à une partie de jambes en l'air qui, en dépit de son côté quelque peu expéditif et peut-être grâce à lui, ne manqua pas de sel. J'avoue que ce déjeuner fut pour moi un véritable supplice. Le tailleur, nageant dans la plus parfaite béatitude, répétait sa satisfaction de m’avoir comme convive pendant que sa femme, toute rose de satisfaction, s'amusait visiblement de ma gêne et, pour l’augmenter, ne cessait de frotter sa jambe encore toute chaude contre la mienne.

Ce fut la première fois que je faisais l’amour avec la femme d’un autre, ma première cocufication en quelque sorte, si je puis employer ce néologisme. Elle fut suivie de nombreuses autres au cours desquelles, non seulement, je n’éprouvai plus jamais le moindre sentiment de culpabilité, mais où, pour certaines, j’eus même le sentiment d’avoir rendu un fier service au mari cocu. En effet, il m’arriva de me comporter comme un goujat avec ces conquêtes, parfois involontairement pour des raisons de surcharge d’emploi du temps amoureux, parfois volontairement pour fournir à une rupture, que je jugeai indispensable ou préférable, l’alibi d’un désamour et d’un mauvais comportement de ma part.
De cette manière, paradoxalement, je faisais prendre conscience à ces dames égarées le fait que, finalement, l’herbe n’était pas forcément plus verte ailleurs et que somme toute, il valait mieux pour elles regagner la sécurité et le cocon de leur « sweet home ».
Je n’ai malheureusement jamais pu tirer la moindre reconnaissance de ces actions parfois plus salvatrices pour le couple que celle d’un coûteux conseiller conjugal… ou d’un divorce : aucune reconnaissance de ces épouses que j’ai remises sur les rails du bon chemin conjugal. Bien entendu, aucune reconnaissance non plus de la part de leurs maris. Mais de ce côté, j’avoue avoir préféré m’en passer et laisser ces braves hommes dans l’ignorance de l’adultère de leur conjointe, craignant qu’ils n’interprètent de mauvaise manière le caractère, pourtant thérapeutique et salvateur pour leur couple, de mon dévouement.